Il était à prévoir que ce livre changeât et, dans la mesure où il mettait en jeu l'existence terrestre en la chargeant cependant de tout ce qu'elle comporte en deçà et au-delà des limites qu'on a coutume de lui assigner, que son sort dépendît étroitement du mien propre qui est, par exemple, d'avoir et de ne pas avoir écrit de livres. Ceux qu'on m'attribue ne me semblent pas exercer sur moi une action plus déterminante que bien d'autres et sans doute n'en ai-je plus l'intelligence parfaite qu'on peut en avoir. A quelque débat qu'ait donné lieu le Manifeste du surréalisme de 1924 à 1929, sans engagement valable ni pour ou contre, il est entendu qu'extérieurement à ce débat l'aventure humaine continuait à se courir avec le minimum de chances, presque de tous les côtés à la fois, selon les caprices de l'imagination qui fait à elle seule les choses réelles. Laisser rééditer un ouvrage de soi, comme celui qu'on aurait plus ou moins lu d'un autre, équivaut à «reconnaître» je ne dis pas même un enfant de qui l'on se serait préalablement assuré que les traits sont assez aimables, que la constitution est assez robuste, mais encore quoi que ce soit qui, ayant été aussi vaillamment que l'on voudra, ne peut plus être. Je n'y puis rien, sinon me condamner pour n'avoir pas en tout et toujours été prophète. Ne cesse d'être d'actualité la fameuse question posée par Arthur Cravan « d'un ton très fatigué et très vieux » à André Gide : « Monsieur Gide, où en sommes-nous avec le temps ? - Six heures moins un quart », répondait ce dernier sans y entendre malice. Ah ! il faut bien le dire, nous sommes mal, nous sommes très mal avec le temps.
Ici comme ailleurs l'aveu et le désaveu s'enchevêtrent. Je ne comprends pas pourquoi, ni comment, ni comment encore je vis, ni à plus forte raison ce que je vis. D'un système que je fais mien, que je m'adapte lentement, comme le surréalisme, s'il reste, s'il restera toujours de quoi m'ensevelir, tout de même il n'y aura jamais eu de quoi faire de moi ce que je voulais être, en y mettant toutes la complaisance que je me témoigne. Complaisance relative en fonction de
samedi 20 octobre 2007
Préface à la réimpression du manifeste (1929)
.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire